cafévol thème Exobiologie 26 octobre
Compte rendu des interventions de Robert Pascal Louis Le Sergeant d’Hendecourt . Par Hélène Banoun
Intervention de Robert Pascal
Robert Pascal se présente comme chimiste organicien qui a commencé ses recherches par des synthèses d’acides aminés. Il s’est tourné vers l’exobiologie à la suite de la fameuse expérience de Miller de 1953 (celui-ci a soumis des gaz à un rayonnement ultraviolet dans un ballon -censé contenir la « soupe primitive »- et a obtenu des acides aminés. Cette expérience a été renouvelée plusieurs fois mais n’a jamais été plus loin). Depuis 20 ans il s’intéresse à l’origine de la vie et à ses aspects théoriques.
L’exobiologie
C’est la science qui étudie l’origine de la vie et cherche à savoir si une vie est possible ailleurs que sur la Terre.
LUCA, le dernier ancêtre commun à tous les êtres vivants sur Terre est une construction intellectuelle qui n’a peut-être jamais existé. Il a donné naissance aux Bactéries, Archées et Eucaryotes (qui proviennent donc de la même souche). L’émergence de LUCA ex nihilo de façon spontanée est impossible donc il existe une chimie prébiotique avec des étapes intermédiaires, caractérisée par des états de stabilité et des transitions. Il existe une contradiction entre la stabilité et l’improbabilité de ces phénomènes ; ce conflit est dépassable par la sélection naturelle (voir les travaux de Addy Pross « What’s Life », Pross explique le concept crucial de ‘stabilité cinétique dynamique’ , spécifique des processus de reproduction qui ne se trouve pas dans tous les autres types de systèmes stables (montagnes, chutes d’eau). Il existe deux types de chimie : la chimie régulière et la » chimie réplicative « . Le monde de la chimie réplicative est régi par la stabilité cinétique dynamique, ce qui semble en contradiction avec la deuxième loi de la thermodynamique. https://youtu.be/FxnxAAB-Vk0.)
On peut concevoir la chimie prébiotique comme un processus autocatalytique : le produit de la réaction est capable de catalyser sa production, par augmentation de la taille du produit et sa division on obtient une reproduction. Par exemple des vésicules formées de couches lipidiques grossissent puis se divisent. Donc on peut imaginer une transition graduelle entre la chimie prébiotique et la vie par sélection des systèmes chimiques les plus efficaces à se reproduire. Ceci nécessite une variabilité dans la reproduction et une irréversibilité cinétique : la réaction retour doit être plus lente que le temps de reproduction (en chimie les réactions retour existent, mais pas en biologie).
Cette boucle autocatalytique a besoin d’énergie pour empêcher la réaction retour essentiellement. Cette énergie est gaspillée. Ceci implique des contraintes pour les conditions de l’origine de la vie : elles sont plus exigeantes que celles pour maintenir la vie une fois qu’elle est apparue. Donc la vie en milieu extrême n’a pas de rapport avec les origines de la vie, les conditions de ces milieux extrêmes ne peuvent pas nous renseigner sur les conditions primitives. La vie ne pourrait pas apparaître à nouveau sur la Terre dans les conditions actuelles.
Concernant les exoplanètes (hors système solaire) et une vie possible, il faudrait y trouver de l’eau et une source d’énergie (lumière visible ou ultra violette, décharge électrique ou choc thermique lié à la chute d’un météorite) et de la matière organique provenant de l’atmosphère primitive ou des sources minérales ou des comètes.
La recherche dans ce domaine se décompose en :
L’étude de la formation des « briques du vivant »
L’étude de l »auto-organisation : la reproduction/multiplication nécessite l’irréversibilité (loin de l’équilibre) gouvernée par la stabilité cinétique dynamique.
Question : pourquoi l’eau est-elle indispensable ?
C’est le liquide qui a la gamme de températures entre l’état gazeux et l’état solide la plus large : elle est liquide entre 0 et 100°C. Et ceci grâce aux liaisons hydrogène qui associent de manière forte les molécules d’eau entre elles. Par exemple le méthane ne le permet pas. Le seul corps chimique semblable est le formamide mais sa structure est plus complexe que celle de l’eau et il est instable (il n’existe pas d’océan de formamide).
Intervention de Louis Le Sergeant d’Hendecourt
« Généricités, astrochimie, contingences, paradoxe de Fermi »
De l’astrochimie à l’astrobiologie
En 1995, la première exoplanète est découverte (une planète hors système solaire) La vie ne peut apparaître que sur une planète, ce qui est une hypothèse de travail raisonnable. Il existe des milliards de planètes dans notre Galaxie et…des milliards de galaxies.
Généricités, le cycle de la matière solide.
Il existe un cycle de la matière solide dans l’Univers : cette matière circule des poussières du milieu interstellaire aux planètes. Les supernovae réalisent la nucléosynthèse quasi tous les éléments chimiques de la table de Mendeleiev (sauf H et He). Le Big-Bang a produit les éléments simples : hélium, hydrogène, pas d’éléments lourds. Par exemple la synthèse du carbone est obtenue à partir de 3 atomes d’hélium. Les éléments dominants dans l’espace interstellaire sont les CHNOPS (carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre). Certaines étoiles s’effondrent sur elles-mêmes ce qui provoque l’évaporation de la matière en grains de 0,1 à 1 micron : ce milieu de poussières est caractérisé du point de vue chimique par des gaz peu denses et très froids. Cette poussière et le gaz qui l’accompagne, donne ensuite naissance à des nuages moléculaires auto-gravitants, à l’intérieur desquels se forment des molécules. Ces nuages donnent naissance à des disques proto-planétaires. L’agglomération des poussières forme des astéroïdes puis des planètes. Une planète peut se former très rapidement, par exemple Jupiter s’est formée en 1 à 10 millions d’années.
La chimie des comètes (ou astéroïdes) :
Elles sont caractérisées par la présence de glaces, en majorité d’eau mais aussi d’autres molécules (NH3, CH4, CH3OH…). Concernant la Terre, les éléments suivants sont présents depuis le début de son existence : silicium, fer, magnésium, etc…. Les comètes apportent les éléments légers (hydrogène,…), de l’eau et des molécules organiques semi-complexes. La Terre a 4,5 milliards d’années, l’Univers (observable) en a 14 milliards, donc on peut supposer l’existence de planètes formées bien avant la Terre avec tous ces éléments nécessaires à la vie.
Lors de la formation des planètes telluriques (comme la Terre, c’est à dire constituées principalement de silicium, magnésium, fer, nickel,…), les éléments volatiles (CHNOPS) ont été vaporisés et éliminés : la formation d’une planète s’accompagne d’un fort dégagement de chaleur qui aboutit à leur vaporisation. Ces éléments sources de « volatiles » (CHNOPS) sont les seuls qui constituent des molécules briques de la vie (acides aminé, bases nucléiques, sucres, ATP…), éléments donc importants pour l’apparition de la vie (du moins celle que l’on connaît). Ils sont abondants dans le milieu interstellaire et dans la biosphère terrestre (contrairement à l’intérieur du globe terrestre). Il existe beaucoup plus de molécules organiques (des millions) que de molécules minérales (environ 7 500, sur la Terre) mais si un seul des éléments minéraux avait manqué sur Terre, les choses auraient probablement été très différentes.
Origine de la vie, faits et hypothèses.
La vie, telle que nous la connaissons est basée sur la chimie organique et les lois de la physique et de la chimie. Pour tenter de comprendre son origine, il faut connaître les conditions primitives : il y a 4,2 milliards d’années, de l’eau a été apportée par un bombardement massif de comètes (eau apportée sous forme de glace qui a ensuite fondu sur Terre et surtout a pu rester à l’état liquide en raison de la présence d’une atmosphère). Ces comètes ont aussi apporté des matériaux prébiotiques : on en a trouvé sur des comètes et astéroïdes. Dès 1806, le chimiste Ténard a trouvé sur la météorite d’Alès, du carbone. Cette découverte a été ensuite oubliée jusqu’à la fin du 20ème siècle, avec l’analyse de la météorite de Murchison en particulier qui confirma largement la présence de carbone et de molécules organiques extraterrestres, présentes dans la météorite initiale. Dans le milieu interstellaire on trouve essentiellement des molécules organiques constituées des éléments les plus abondants et disponibles (ils sont volatils) dans ce milieu (les CHNOPS). Ces éléments volatils et les molécules qu’ils forment peuvent passent facilement de l’état gazeux à l’état liquide et solide et vice versa. A la différence des éléments réfractaires, ils ne restent pas piégés dans le solide.
En phase gazeuse interstellaire il ne peut pas exister de complexité importante car les molécules complexes sont rapidement détruites: on trouve au maximum des molécules formées de 13/15 atomes par molécule et très peu abondantes. Exception faite cependant pour des molécules de carbone sous forme de polyaromatiques et de fullerènes.
Dans ce milieu réducteur (contenant beaucoup d’hydrogène), les molécules d’O, N et C, vont donner très facilement H2O, CH4, NH3, sous forme de glace sur la surface froide des grains interstellaires, glaces que l’on retrouve plus loin dans les comètes.
Expériences menées au laboratoire PIIM de Marseille (UMR7345 – Physique des Interactions Ioniques et Moléculaires, http://piim.univ-amu.fr/Projet-RInG-Reactivite-dans-les)
On reproduit dans un réacteur (cryostat) des grains interstellaires et un manteau de glace sous vide qu’on bombarde de rayonnement ultraviolet : cette chimie du solide de type radicalaire génère un résidu organique de polymères, soluble dans l’eau, de masse moléculaire pouvant aller jusqu’à 4000 daltons. On y trouve des acides aminés, de la N2-aminoethyl-glycine, des sucres (dont du ribose) : c’est un « simulateur de glace interstellaire ». L’expérience de Miller de 1953 n’a pas été plus loin car ces briques de la vie sont inertes : elles ne s’assemblent pas. La vie est un système hors équilibre, non isolé (avec un apport et une dissipation constantes d’énergie). On pense faire réagir cette matière organique produite au laboratoire dans un simulateur de Terre primitive : on fera évoluer ce résidu organique et on le réinjectera dans le résidu initial plusieurs fois de suite. On cherche à montrer si certaines molécules se répliquent plus facilement que d’autres. Cette expérience est en cours de montage. Le milieu de laboratoire est forcément différent du milieu de la Terre primitive, donc on obtiendra quelque chose de différent des molécules présentes sur la Terre primitive. Le but est de montrer que l’apparition de molécules autoréplicantes « prébiotiques » est possible selon une hypothèse théorique formulée par un chimiste israélien, Addy Pross. Ceci repose sur l’hypothèse qu’il existe un mécanisme darwinien dans la chimie prébiotique (hypothèse datant d’ailleurs des années 1920) ; c’est une idée qui permet de penser l’unification du monde physique et du monde biologique. Contingences
Certaines contingences du système solaire ont façonné l’apparition de la vie. Il ne peut y avoir 2 Terres strictement identiques dans la Galaxie de par l’action de ces nombreuses contingences (suite de hasards déterministes mais suite que l’on ne connaît pas complètement « à priori »). Par exemple, la Lune permet la stabilisation de la Terre sur son axe de rotation, condition indispensable à l’évolution de la vie sur des temps très longs. Le champ magnétique terrestre est également nécessaire à la vie car il la protège des rayonnements cosmiques (solaire et galactique).
Sur Mars, il n’y a pas d’eau liquide, pas de champ magnétique.
La radioactivité terrestre a permis la formation du noyau Fer-Nickel responsable du champ magnétique.
Le paradoxe de Fermi ne sera pas abordé faute de temps ! (alors qu’environ deux cents milliards d’étoiles existent dans notre galaxie, et que très probablement, comme nous le savons assez précisément aujourd’hui, plusieurs centaines de milliards de planètes orbitent également autour d’elles, comment peut-il se faire que nous n’ayons pas encore été visités par de (nombreuses (?) civilisations d’extraterrestres ?)
Donc en conclusion, on espère montrer en laboratoire qu’il y a des structures qui se répliquent dans un environnement plausiblement « primitif ».
Remarque de Robert Pascal
Le concept de « Systems Chemistry », né vers 2004, intègre toutes les molécules primitives prébiotiques : des acides aminés, des nucléotides, …
« Un système est défini comme un ensemble d’éléments connectés formant un ensemble complexe qui ne se comporte pas comme celui attendu des caractéristiques des unités isolées. La Chimie des Systèmes rassemble les réactions chimiques qui démontrent un tel comportement inattendu : coopérativité, bistabilité, sélectivité, reconnaissance, morphogenèse et auto-organisation, autocatalyse, horloges chimiques, instabilités électrochimiques…. »
Prochain cafévol 26 Octobre 2019
Samedi 20 Mai 2017 de 10h à 12h , cité des associations, 93 la Canebière
Recherche et Ethique
Résumé :
Nous ferons le point sur quelques théories sur l’évolution et regarderons comment ces dernières sont soutenues.
Nous montrerons aussi comment les théories changent.
Samedi 28 Mai 2016 de 10h à 12h , cité des associations
Comment une nouvelle idée issue de la recherche fondamentale est appliquée . (Animé par Pierre Pontarotti)
Nous discuterons du cas de nouveaux concepts dans les sciences de l’évolution développés dans le cadre de mon laboratoire. Comment ceux-ci ont été appliqués pour le décryptage des génomes en général et en médecine et agronomie en particulier.
Le transfert de ce savoir faire dans une entreprise de biotechnologie sera aussi présenté.
Cet exemple nous servira de base de discussion pour parler de la relation entre science fondamentale et appliquée.
Samedi 6 Juin 2015 de 10h à 12h :
M Cornel POPOVICI Chercheur en Oncogénétique Marseillle et M. Pierre PONTAROTTI, Directeur de Recherche au CNRS,
Conseiller scientifique auprès de la société XEGEN.
Conseiller scientifique auprès de l’A.E.E.B.
Sujet : Le séquençage des génomes humains: un
grand progrès pour la médecine personnalisée
ou bienvenue à Gattaca ?
(réservé aux adhérents)
Le samedi 30 mars 2013
sujet : le Finalisme en biologie
Animé par Gaëlle PONTAROTTI, Etudiante en Philosophie des sciences à l’
Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques.
Pour cette première série de rencontres, nous aborderons la question du
finalisme en biologie. Nous nous demanderons si les réflexions de type
panglossien, le nez est fait pour porter les lunettes, la main est faite
pour manipuler les outils sont toujours d’actualité dans la biologie du 21e siècle. Nous questionnerons notamment le caractère finaliste de la notion
« d’adaptation », centrale dans la théorie de l’évolution.
(réservé aux adhérents)